Souvenir n°37 :
« Je me souviens du premier aspirateur, quel plaisir
la première fois. »
(Georges Perec, Je me souviens, 1978)
Ah l’aspirateur ! Je dois vous prévenir que je ne suis pas une grande adepte de l’aspirateur. J’aime mieux le balai, silencieux et plus fantaisiste, avec ses formes en brosse, à retroussis, à rebords, à semelle, à piassava, en ciseaux, à l’espagnol, de cantonnier ou de coiffeur, zébré, en chiendent, en paille de riz, en fibres de coco ou de bourre de palmier (comme sur la photo ci-dessous), en soie… sans oublier ses pouvoirs magiques, surtout quand on est sorcière ! Et même si la formation de petits tas de poussières à ramasser à la pelle constitue un désavantage pratique certain, car il en reste toujours un peu et l’on finit souvent par marcher dessus. Je ne sais pas si le plaisir de Perec est celui de la magie des premières fois, s’il a perduré dans le temps ou si au contraire il s’est mis à détester ça ensuite. Peut-être que j’ai éprouvé comme lui un amusement la première fois que j’ai branché l’engin et aspiré des moutons de poussière. Aujourd’hui, je dois pourtant avouer que voir la poussière s’évanouir d’une étagère de livres ou d’une couverture d’ouvrage est une sensation très plaisante !
Car nous, bibliothécaires et archivistes, ne sommes pas que des experts en catalogage, nous sommes aussi des chasseurs de poussière et de moisissures, mais aussi de petits rongeurs et insectes parasites tels que les muséophages, les lépismes du papier, les thermobies, les poissons d’argent et les petits vers grignoteurs et perforateurs de livres et de manuscrits… Nous avons pour cela un arsenal d’outils visant à éviter leur présence et prolifération : boites d’archives résistantes en carton au ph neutre pour mettre les documents à l’abri de l’humidité et de la poussière, thermo-hygromètres et régulateurs de température et d’humidité contre les variations de température et la formation de champignons, pièges à insectes et nuisibles, lingettes en microfibres, jusqu’à l’aspirateur professionnel portable à filtre retenant 99,97 % des particules de poussières, les moisissures, les bactéries et les acariens, muni de mini brossettes adaptées aux documents fragiles. Si c’est nécessaire, nous pouvons aussi faire appel à des sociétés spécialisées dans la restauration patrimoniale, notamment la société Copeia à Arles avec laquelle nous avons travaillé par exemple l’an passé pour le dépoussiérage, l’analyse biologique et le reconditionnement du fonds de manuscrits berbères Arsène Roux. 1
En matière de ménage, les archives sonores de la phonothèque peuvent aussi nous donner de bons conseils pratiques. Par exemple, les « Souvenirs des cours d’arts ménagers pour jeunes filles dans les années 30-40 et de l’économie familiale par une femme de minotier à la Mure-Argens (04) » (n° inventaire 4162) nous en livrent quelques-uns parmi lesquels, l’utilisation de la peau de chamois pour nettoyer les objets et ustensiles, avec du gros sel et du jus de citron pour le cuivre, du bicarbonate de soude pour l’argenterie, ou encore du gros sel et du vinaigre pour les carafes : Écouter l’archive sonore. Cet autre « Récit de vie d’une maîtresse d’enseignement ménager de Belfort née en 1896 » évoque le programme de ces cycles de formation au travail domestique : Ecouter l’archive sonore.
Ces cours de ménage auraient sans doute plu au Fossat, personnage notoire de la Lozère, féru de propreté, évoqué dans les enquêtes de Claudette Castell et Nicole Coulomb sur la « Mémoire orale du Mont-Lozère », en particulier dans l’entretien « Le Célibataire et le ménage mal fait » (n° d’inventaire 419_9), conté par un ancien agriculteur cévenol : Ecouter l’archive sonore.
Enfin, comment parler d’aspirateur et de ménage sans évoquer les sempiternelles polémiques familiales ou querelles conjugales à ce sujet, comme l’illustre l’entretien des deux chercheuses avec Marcel Volpilière, qui raconte les aventures d’un homme et d’une femme qui décident, pour la journée, d’échanger leur travail. Le mari se charge de la cuisine et de garder la vache, la femme de travailler dehors pour faucher : « Le désaccord du ménage » (n° d’inventaire 402-18) : Ecouter l’archive sonore
Crédits photographiques :
1. Scène de ménage à la phonothèque, Médiathèque de la MMSH, photographie par M. Buono, le 5 décembre 2023
2. Marceau Gast. Fonds Marceau Gast – Alimentation de la population de l’Ahaggar – Le repas de dattes pilées – Nettoyage de la meule par une femme touareg. Photographie. Aix Marseille Univ, CNRS, MMSH, Aix-en-Provence, France – Phonothèque de la Maison méditerranéenne des sciences de l’homme, Idélès, Algerie. 1964. ⟨hal-03373870⟩
3, 4. Exemple d‘un manuscrit ancien du fonds Roux (MS_11, XVIIIe siècle) présentant des traces de galeries d’insectes présentes avant la collecte par la médiathèque de la MMSH, signalées dans le catalogue de Harry Stroomer
- Voir l’article présentant le fonds Roux sur Les carnets de la phonothèque ↩︎
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